lundi 9 juin 2008

Les Raisonnements fallacieux (1)

Pratiquer la mauvaise foi est un art et une science qui dispose d'une large palette d'outils. Les anglais leurs donnent le nom de fallacy qui ne possède pas d'homologue dans notre langue. Fallacie serait pourtant un joli mot mais nous n'avons que l'adjectif « fallacieux » à notre disposition.

Un raisonnement est un mécanisme permettant de savoir si une proposition est vraie ou fausse. Le raisonnement s'appuie sur des propositions de départ dont la valeur de vérité est connue (les prémisses) et sur un ensemble de relations logiques (les inférences).

Un exemple type est le fameux syllogisme :
A. Tous les hommes sont mortels. (prémisse majeure)
B. Socrate est un homme. (prémisse mineure)
C. Socrate est donc mortel. (conclusion)

Les deux prémisses étant vraies et l'inférence valide, la conclusion est avérée.

Un raisonnement fallacieux est un argument qui mène de façon invalide à une conclusion :
A. Ce qui est rare est cher.
B. Un cheval bon marché est rare.
C. Un cheval bon marché est donc cher.

Un raisonnement fallacieux peut toutefois mener à une conclusion exacte, mais qui restera non démontrée :
A. Socrate n'est pas tous les hommes.
B. Tous les hommes ne sont pas immortels.
C. Socrate est donc mortel.

Les raisonnements fallacieux sont à la fois fascinants et agaçants puisqu'ils nous mettent face à face avec nos propres limites de raisonnements. Quoi de plus horripilant que de se trouver face à quelqu'un de mauvaise foi, qui déploie une rhétorique retorse que l'on est bien incapable d'invalider. Soit on abandonne de guerre lasse, soit on se surprend à adopter soi-même une argumentation invalide mais alors... à quoi joue-t-on?

Le fait est que nous sommes souvent bien dépourvus. L'orthographe et la grammaire s'apprennent dès le plus jeune âge. Pour les techniques de raisonnement, chacun est laissé à lui-même comme s'il n'existait aucun savoir transmissible qui permette d'échanger des idées avec toutes les garanties d'une construction solide. L'art de la rhétorique et la science de la logique ont quitté les salles de classes.

Il y a pourtant là sujet d'étude. Pour ce qui est des raisonnements fallacieux, Aristote, Schopenhauer, John Stuart Mill ou David Kelley ont chacun entrepris d'en dresser une taxonomie. Celles-ci sont divergentes et reposent la plupart sur une distinction préalable : le raisonnement est-il fallacieux dans sa forme ou non? L'opposition entre raisonnements fallacieux formels et informels est tentante mais génère de nombreuses inconsistances. De par leur nature, les raisonnements pervers jouent souvent sur les deux tableaux à la fois. L'on constate ainsi que les auteurs classent tantôt l'équivocation ou le raisonnement circulaire dans l'une ou l'autre classe. Autre dichotomie rencontrée : la distinction reposant sur la bonne foi du locuteur (paralogisme) ou sa volonté de tromper (syllogisme). Force est de constater que les mécanismes de tromperie sont souvent indépendants de l'intention du locuteur.

La présente tentative de synthèse fait donc l'économie d'une dichotomie fondamentale et propose neuf classes principales. Mais l'objectif de cette petite étude est moins d'offrir une systématique rigoureuse que d'aider l'honnête homme à ne pas perdre pied lorsqu'il est confronté à longueur de journée à des...
« Encore une tuerie! Quand donc interdira-t-on les jeux vidéos?! »

et autres...
« Je crois que je vais acheter cette robe. Comment tu la trouves? »

On y va par étapes. Suivez le guide et faites attention où vous mettez les pieds.



A. TROMPERIES VERBALES
où l'on joue sur les mots...


A1. Équivocation

L'équivocation est une faute de raisonnement à la fois formelle et informelle, qui joue sur les acceptions multiples de termes utilisés. Particulièrement agaçant.
« Les ânes ont de longues oreilles. Benoît est un âne. Il a donc de longues oreilles. »


A2. Loki's Wager

Consiste à décréter que, puisqu'un concept n'est pas clairement défini, il ne peut être discuté. C'est la forme la plus extrème de l'équivocation.
« Tu dis que tu es amoureux alors que tu ne peux même pas définir le mot "amour"! »
L'argument selon lequel la nature d'une divinité ne peut être discutée puisqu'elle dépasse notre entendement est un Loki's wager.


A3. Amphibologie

L'amphibologie offre un caractère équivoque comparable, mais fondé sur la structure grammaticale.
« John apprit à Mary que sa mère était malade. » (La mère de qui?)


A4. Aucun bon Écossais (No true Scotsman)

Dans Thinking about Thinking, Antony Flew donne l'exemple suivant :
Argument: "No Scotsman puts sugar on his porridge."
Reply: "But my uncle Angus, who is a Scotsman, likes sugar with his porridge."
Rebuttal: "Aye, but no true Scotsman puts sugar on his porridge."

Certains auteurs y voient un argument circulaire, puisque cela sous-entend que la façon de déguster le porridge intervient dans la définition d'un "true Scotsman". En ce sens, il s'agirait plutôt d'un argument en spirale puisqu'il y a surenchère sur l'authenticité de la qualité. (On imagine facilement la suite : « But Uncle Angus is a true Scotsman etc. »)


A5. Paralogisme de composition (Fallacy of composition)

Cette erreur, parfois assimilée à une généralisation abusive, consiste à doter le tout de la propriété d'une partie.
« Qui sauve un homme sauve tous les hommes. »

A6. Paralogisme de division (Fallacy of division)

À l'inverse, cette erreur consiste à attribuer à un élément une propriété de l'ensemble auquel il appartient.
« Les Républicains sont pour la peine de mort. Tu votes républicain. Tu es donc pour la peine de mort. »


Prochaine étape : Non causa pro causa...

5 commentaires:

  1. Salut, j’étais justement sur le point de te demander où tu en étais avec ce texte.

    Ce qui me frappe en le lisant, c’est que les raisonnements à propos des raisonnements semblent toujours avoir comme prémisse le caractère vrai ou faux des propositions.

    Exemple :

    Prémisse 1 : La proposition « Socrate est un homme» est vraie;
    Prémisse 2 : La proposition « Tous les hommes sont mortels » est vraie ;
    Prémisse 3 : La proposition « Socrate est mortel » est vraie ;
    Conclusion : 3 peut être une conséquence logique de 1 et 2.

    Comme tu le dis, la mauvaise foi d’un interlocuteur est quelque chose qu’on sent : indépendamment du raisonnement, on sait que le résultat final est faux. Ce n’est qu’ensuite qu’on peut éventuellement s’amuser à décortiquer la rhétorique pour voir où elle coince. Selon ce qu’on sait de la validité de la conclusion, on décrètera que le raisonnement est valide ou fallacieux.

    Mon point de vue est que c’est toujours l’intuition, en fin de compte, qui nous fait accepter une proposition ou pas. La formalisation du raisonnement par des règles logiques est une tentative d’extrapolation de nos schémas de pensée vers des domaines où notre intuition ne s’applique pas.

    Je crois que des propositions comme « Il existe une infinité de nombres premiers » est beaucoup plus simple que « Socrate est mortel ». A l’instar de l’arithmétique, je crois (i) que le système formel qui correspondrait à nos schémas de pensée serait d’une complexité sans nom, et (ii) que même si on arrivait à en trouver les axiomes et les règles, il y aurait toujours des incohérences et des propositions indémontrables.

    Devoir pour la prochaine fois : Essayer de pondre un raisonnement fallacieux portant sur les raisonnements justes. ;-)

    A bientôt !

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    1. On part du principe que "Socrate est mortel" est la conclusion et non le 3 ème prémisses. C'est annoncé par avance, c'est d'ailleurs un extrait cité dans l'Organon. Le but est informatif. Il ne peut-être débattu en ajoutant des détails qui n'ont pas lieu d'êtres (Comme un troisième prémisse). Dans d'autres circonstance cependant, il est tout a fait vrai que la conclusion aurait pu changé, mais on prend toujours l'ensemble de l'exemple. C'est comme un problème basique de mathématique qui servira a comprendre un concept et ensuite complexifié ce même problème pour mettre en pratique le concept.

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  2. Il y a beaucoup de raisonnements fallacieux (classés comme formels par certains auteurs) où le caractère de vérité des prémisses n'intervient pas, voire où il n'y a guère de prémisses.

    Pour l'intuition, je suis d'accord si l'on la comprend comme un raisonnement inconscient. Pour un Grec présocratique, une flêche était animée par son objectif : atteindre l'ennemi. Son intuition aurait divergé de la nôtre pour accepter un raisonnement explicant l'échec d'un tir par exemple.

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  3. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  4. "Qui s'endort dans la démocratie se réveil dans la dictature."
    qu'en dite vous ?

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