L'Intelligent Design s'affiche de plus en plus comme une opinion respectable. Qui s'y oppose prend le risque de passer pour intolérant. Il y a quelques années, une campagne pro-tabac utilisait la même stratégie du "dos-à-dos". Le slogan était : «Fumeur ou pas, restons courtois». Il gommait l'idée simple que l'un était l'agresseur et l'autre l'agressé. Le mécanisme est similaire ici : mettre sur un pied d'égalité un dogme et un modèle scientifique cohérent, corrélé par des faits et soumis à la critique scientifique.
Amis croyants, si vous pensez que la foi et la science ne sont pas antagonistes par nature, ce billet est pour vous...
1. C'est écrit dans la Bible.
«God’s Word is true, or evolution is true. There’s no room for compromise.» [creationmuseum]
Argument d'autorité. La Bible est un récit. De nombreux autres récits, scientifiques ou non, religieux ou non, fictionnels ou non, sont en contradiction avec divers passages de la Bible. Croire que la Bible a raison simplement parce que c'est la Bible est une conviction, par un argument.
2. Ma foi me pousse à croire le récit biblique.
Subjectivisme. La foi de nombreux chrétiens les pousse à comprendre certains passages bibliques comme des métaphores. Un argument en leur faveur est que certains passages sont compris comme métaphoriques même par les chrétiens créationnistes. Si tous les chrétiens s'accordent sur le fait que des métaphores peuvent être présentes dans la Bible, pourquoi la Genèse ne pourrait-elle être interprétée ainsi?
3. Le darwinisme diminue le rôle de Dieu.
«Darwinism rules out the possibility of God or any guiding intelligence playing a role in life’s origin and development. Within western culture Darwinism’s ascent has been truly meteoric.» [Cosmic Poursuit, William Dembski, 1998]
Diversion. Pour qui pense que Dieu a planté chaque arbre individuellement, l'affirmation qu'une entreprise de jardinage ait planté celui de mon jardin doit être blasphématoire. Le darwinisme n'est dangereux que pour l'idée d'un Dieu anthropocentrique. Il n'interfère nullement avec l'idée d'un Dieu omnipotent et omniscient.
4. Argument téléologique : la beauté et la complexité des mécanismes de la nature démontrent l'existence de Dieu.
Appel à l'émotion, non-sequitur. C'est une conviction, non un argument. Elle est parfois soutenue par les arguments du hasard ou de la complexité (voir plus loin).
5. Darwin était athée.
Discrédit, non-sequitur. Argument étrange, sauf à considérer «Païens ont tort, chrestiens ont droit.» Étrange et faux : Darwin était chrétien. Il a étudié la théologie à Cambridge. Sa théorie de la sélection naturelle date de 1838 et s'est édifiée sur base d'éléments récoltés durant le voyage du Beagle, de 1831 à 1836. Darwin ne devint agnostique qu'en 1851, suite à la mort de sa fille Annie.
6. Le darwinisme est une théorie matérialiste.
«Debunking the traditional conceptions of both God and man, thinkers such as Charles Darwin, Karl Marx, and Sigmund Freud portrayed humans not as moral and spiritual beings, but as animals or machines who inhabited a universe ruled by purely impersonal forces and whose behavior and very thoughts were dictated by the unbending forces of biology, chemistry, and environment.» [The Wedge Strategy]
Non sequitur. Cet argument n'a de poids qu'à deux conditions :
a. Il est exact (reste à le démontrer).
b. Les théories matérialistes ont toujours tort face aux théories spiritualistes. Cette démonstration est elle inutile puisque les chrétiens fondamentalistes adopte eux-même parfois une position inverse : ils croient en la transubstantiation. Pour eux, l'hostie donnée en communion n'est pas seulement investie de l'esprit du Christ mais que sa substance matérielle est réellement modifiée.
7. Le darwinisme est contredit par les dernières avancées scientifiques.
Diversion. Bien sûr, la science progresse, les théories s'affinent et se complètent. Dans son excellent blog, Tom Roud résume parfaitement l'absurdité de l'argument :
« (...) Dembski affirme que le fait que certains organismes aient des moyens de contrôler leur taux de mutation contredit le darwinisme. Autant reprocher à Galilée de ne pas avoir introduit la notion d’espace-temps ! Ce que Dembski ne reconnaît pas, c’est que la théorie de l’évolution proposée par Darwin est avant tout un cadre conceptuel : ce n’est pas parce que Darwin n’a pas anticipé les découvertes récentes de la biologie que sa théorie ne colle pas à ces découvertes.»
8. L'évolutionnisme met le hasard au centre de tout ses mécanismes. Il est impossible qu'une mécanique aussi complexe que l'homme, même que chaque cellule, soit le fruit du hasard. Un architecte est nécessaire.
Inexactitude, non-sequitur. Bien sûr, si l'on met les atomes constitutifs d'un homme dans un tonneau et que l'on secoue, il n'en sortira jamais un homme. Cet argument caricature le discours scientifique. Ce que l'évolutionnisme avance, c'est qu'une sélection naturelle s'opère au hasard. Ce hasard n'est pas totalement aléatoire puisqu'il s'opère dans le cadre étroit des lois de la logique, de la physique et de la chimie. Ces lois étant universelles, une sélection cumulative apparaît qui permet l'émergence de structures complexes.
9. Si les mutations apparaissent de façon aléatoire, comment un organe aussi complexe qu'un oeil peut évoluer? Il est clair que toutes les mutations ont convergé pour en faire une mécanique aussi complexe et parfaite.
Fausse alternative, incompréhension. Quand nous regardons en arrière le chemin qu'a parcouru l'évolution pour arriver à un organe tel que l'oeil, nous avons immanquablement le sentiment trompeur d'une évolution dirigée. C'est que nous ne voyons alors que le chemin qui a abouti. La masse fantastique d'essais infructueux nous est invisible. Cela revient à s'étonner qu'un spermatozoïde minuscule, sans organe de sens ni cerveau réussisse le miracle de franchir la distance colossale qui le sépare de l'ovule. S'il n'y avait qu'un seul spermatozoïde, ce serait bien un miracle... mais il y en a des dizaines de millions.
10. Le deuxième principe de la thermodynamique affirme que des systèmes complexes ne peuvent pas apparaître tout seuls.
Inexactitude. Ce principe énonce en fait que «Toute transformation d'un système thermodynamique s'effectue avec augmentation de l'entropie globale incluant l'entropie du système et du milieu extérieur.» Il n'implique nullement que, localement, des systèmes ordonnés apparaissent, au prix d'une augmentation de l'entropie du milieu et d'une dissipation d'énergie. De nombreux modèles validés par l'observation par l'expérience montrent que non seulement des structures complexes peuvent se former, mais en outre qu'elles peuvent se maintenir hors de l'état d'équilibre (cellules de Bénard, réactions Belousov-Zhabotinsky, travaux de Prigogine...)
11. Les évolutionniste eux-même admettent que certaines espèces n'évoluent pas.
Fausse alternative. Bien sûr. Cela implique seulement qu'elles ont atteint un seuil d'équilibre.
12. Les darwinisme a servi à justifier des crimes contre l'humanité.
Discrédit, non-sequitur. C'est exact. Récupérer une science pour asseoir une croyance religieuse, politique ou idéologique peut mener aux plus grandes monstruosités.
13. Les mutations dégradent l'organisme et ne le font pas évoluer.
Inexactitude. Si c'était le cas, les entreprises de l'agro-alimentaire n'investiraient pas tant dans les OGM. Une mutation modifie le patrimoine génétique. Parfois, cette mutation perturbe les fonctions métaboliques, provocant parfois des déficiences voire la mort de la cellule mutée. Souvent, la mutation est neutre : elle intervient dans une partie du matériel génétique non codant (introns). Plus rarement, la modification peut avoir des effets positifs. C'est là qu'intervient la sélection naturelle : un organisme ayant subi une mutation qui le renforce aura plus de chance de survivre et de transmettre cette mutation à une descendance que l'organisme ayant subi une mutation qui diminue ses chances de survie et de reproduction. C'est le mécanisme du hopefull monster par lequel une mutation favorable se transmettra plus facilement qu'une autre.
14. L'histoire de la science, et particulièrement de l'évolutionnisme, fourmille d'erreurs, de fraudes, de canulars.
Discrédit, Non sequitur. Oui, comme toute activité humaine. Elle intègre cependant des mécanismes qui ont permi de mettre ces erreurs, fraudes et canulars en lumière. La religion et la foi ne disposent pas de tels mécanismes, et ne sont guère plus préservées de la faillibilité humaine.
15. Si les fossiles sont la trace d'animaux disparus et que l'évolution est continue, il devrait exister des fossiles intermédiaires. Le fait qu'il n'y en ait pas prouve que la théorie de l'évolution est une fable.
Inexactitude. Mais il y en a, et de très nombreux dont le premier est bien sûr l'Archéoptéryx. Voir Evidence of Evolutionary Transitions de Michael Benton.
16. Pour l'homme en tous cas, impossible de parler d'évolution puisqu'il est doté de conscience. C'est donc une différence qualitative et non plus simplement quantitative qui le distingue des animaux.
Inexactitude, ambiguïté. Reste à définir cette conscience qui serait qualitativement absente du monde animal. L'on peut simplement noter que l'éthologie a mis en évidence dans le monde animal (non humain) des aptitudes et comportements tels que la conscience de soi, la capacité d’abstraction, le rire, l'amour, la fidélité, la trahison, le suicide, le langage symbolique, l’empathie, l’altruisme, la solidarité, l'utilisation d'outils, la transmission de savoir et de rituels.
17. On n'a jamais observé de mutation conduisant à une augmentation de l'information génétique.
Inexactitude. Argument spécieux : on n'observe pas les mutations puisqu'elles interviennent de façon, aléatoire, on observe leurs effets. Ceci dit, l'augmentation de matériel génétique au sein de la cellule a déjà été prouvé à diverses reprises. Le principal mécanisme est la duplication de gènes suivie de la divergence de l'une des copies. D'autres mécanismes ont été observés tels que l'endobiose par laquelle deux organismes fusionnent (d'où les mitochondries p. ex.) ou plus couramment les mécanismes rétroviraux.
je constate que ce sujet est récurent sur ce blog.
RépondreSupprimerBien que votre argumentation soit excellente et irréprochable pour tout scientifique qui se respecte, je ne pense pas que les créationnistes soient en mesure de comprendre votre argumentation, et encore moins de l'accepter.
c est exactement le meme discours qu'on peut avoir face a quelqu'un qui privilégie l'émotionnel au détriment du rationnel dans une argumentation. on a beau lui détruire ses arguments 1 par 1, il trouvera toujours une parade encore plus grotesque, ou se mettra a pleurer en dernier recours.
la meilleure parade est l'humour, le pastafarisme par exemple. J'ai la ferme intention de présenter ma carte de pastafariste a tout témoin de jéovah ou quelconque illuminé qui tentera de me convaincre de sa croyance.
Mais c'est un fait que l'augmentation du nombre d'adeptes de cette théorie est inquiétante. la voir enseignée à l'école l'est encore plus.
merci quand meme pour ce travail d'argumentation.
Je suis totalement d'accord sur la faiblesse du rationnel par rapport à l'émotionnel. Je pense toutefois l'approche utile dans deux cas.
RépondreSupprimer1. Ceux qui doutent, qui se posent des questions et qui ne peuvent pas discerner facilement les points faibles d'un discours pseudo-rationnel. J'en ai connu, qui s'en sont sorti.
2. Certains décideurs amenés de bonne foi (!) à prendre des décisions sur des bases qu'ils estiment fondées.
Quant au pastafarianisme, j'en suis un disciple fervent. J'ignorais qu'il en existe des cartes (ou est-ce une façon de parler?). Où peut-on les trouver?
Sur la partie "fumeur ou pas, restons courtois" de l'introduction, voir aussi l'excellent billet de tonton-grognon.
RépondreSupprimerTres bon billet, deux commentaires :
RépondreSupprimer- pour les relations entre foi et religion, on peut citer Gould et sa théorie du NOMA (non overlapping magisteria), qui théorise la séparation entre les deux domaines
- pour le dernier point, un exemple encore plus spectaculaire est la duplication complète du génome, très étudiée chez la levure.