vendredi 29 avril 2005

ART 7 - Le compositeur est dans la salle.

À l’instar du boulanger ou du soldat, le compositeur type est mort. La chose n’est que normale, le rapport des vivants aux morts étant actuellement de 1/20, et ces honorables corporations n’étant pas sur ce point atypiques.

Pourtant, si personne ne s’étonne de voir un boulanger disposer ses brioches dans le présentoir, la présence du compositeur dans la salle de concert est parfois un élément de grande surprise : « Tu as vu, c’est le compositeur! ». J’ai aussi entendu des « Il n’est pas si vieux. » et même une fois un « Ben, s’il est là, pourquoi ce n’est pas lui qui joue? » Voilà qui suffirait à démentir l’hypothèque qu’il y ait un dieu, et que ce dernier soit amour.

Parfois, le malentendu atteint des sommets vertigineux. Lors d’un récital pour piano, la tourneuse de page fut prise d’une gastro-entérite fulgurante et tout le monde convint qu’il fallait la remplacer au pied levé. Tourner les pages est moins simple qu’il n’y paraît et ce fut le compositeur lui-même qui proposa son assistance. Le concert a lieu, le morceau est joué, le pianiste salue et est applaudi. Pour partager les applaudissement avec le compositeur, comme de coutume, il désigne ce dernier et se joint aux applaudissements. Commentaire saisi derrière moi : « On applaudit même les tourneurs de page, maintenant! »

S’il est plus familier de voir un boulanger dans une boulangerie qu’un compositeur dans une salle de concert, c’est pour une raison bien simple : on aime le pain frais.

La musique, beaucoup l’abordent en nécrophiles. Il faut que ça sente la charogne, le faisandé, ou alors la naphtaline, modèle taxidermie. On ne va pas se quitter comme ça : je te vide, je t’empaille et je te mets sur la cheminée.

Ce conservatisme est récent. Bach ou Mozart étaient de temps où les compositeurs contemporains étaient joués. Le premier était sous contrat, à l’instar d’un Eminem actuel, et devait assurer une production avec ses à-côtés tandis que le second avait grand intérêt à remplir les théâtres. Ils composaient pour leurs contemporains une musique vivante et je ne suis pas certain qu’ils eussent apprécié de devenir des lotions de gargarismes auriculaires ou des kits Ikea de valorisation sociale. Baricco l’a démontré : Beethoven est une marque comme Nike ou Always.

Faites la liste de vos cinq compositeurs favoris et calculez la moyenne de leurs années de naissances. Soustrayez ce nombre de l’année en cours. Le nombre obtenu indique le degré de sclérose dont votre mélomanie est atteinte.

En deçà de 100, ce n’est pas trop grave. Allez chez votre disquaire acheter quelque disques de Pärt, Schnittke, Lachert, Pelecis ou Lysight. Vous m’en direz des nouvelles. Heureux d’avoir pu vous rendre service! Payez-moi un bon restaurant et nous serons quittes.

De 100 à 250, des mesures drastiques de désintoxication s’imposent. Interdiction absolue d’écouter autre chose que du contemporain durant une bonne année. L’alcool et le tabac peuvent aider à passer le cap. Le sexe aussi mais c’est plus fatiguant.

Plus de 250. Vous êtes probablement baroqueux. Il n’y a plus rien à faire, désolé!

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